Airelles Vidéo, Aix-en-Provence 1ère période 1978-1985
Le groupe qui a donné naissance à l’atelier vidéo s’est constitué en 1978 autour de projets de films sur l’actualité du mouvement des femmes.
Cet atelier était une des activités de l’association Aire-Elles qui proposait aux femmes un restaurant coopératif, un lieu d’accueil et de discussion et d’autres activités sociales ou culturelles.
Dans cette mouvance féministe tiraillée dans des divergences de priorité entre les luttes de classes, les batailles juridiques, les revendications d’égalité professionnelle, nous côtoyons le MLAC (mouvement de libération de l’avortement et de la contraception) très actif à Aix et qui a eu un procès retentissant, (cf. film de Yann Le Masson : Regarde elle a les yeux grands ouvert) ; nous fréquentons la librairie des femmes : la Toile d’araignée et participons aux journées de Psychanalyse et politique ou des femmes en lutte dans le monde du travail ou les conflits politiques.(antifranquistes, immigrées etc.)
Etudiantes ou jeunes professionnelles de l’audiovisuel, élève infirmière, enseignante ou formatrice, nous partageons cette conviction qu’il est nécessaire de mener une lutte spécifique contre la domination des femmes, pour la reconnaissance de leurs droits, la maîtrise de leur corps et donc de la procréation, l’égalité professionnelle, la reconnaissance sociale.
Un premier film basé sur le témoignage d’une camarade qui avait subi un viol est resté document interne, le deuxième en 1979 rapporte l’ambiance, la rage, l’enthousiasme des militantes devant le Palais de justice où se tient le procès contre le viol plaidé par Gisèle Halimi, il donne la parole à la famille des hommes accusés et aux victimes. Filmé par une lycéenne qui sera en 1995 cadreuse du film d’Ahmed Lallem: Femmes algériennes, 30 ans après, il est signé Groupe Vidéo Femme d’Aix. Il est diffusé et vendu en France et en Belgique dans les réseaux militants.
Très vite nous ressentons la nécessité de compléter notre formation technique et de la partager. Le ministère des Droits des femmes nous subventionne pour la mise en place de stages dit d’autoformation : circulation des compétences, échange de pratiques. C’est un gros succès, la liste d’attente s’allonge, nous réitérons l’expérience et le groupe se constitue ainsi.
Un premier contrat est passé avec l’association Régionale d’Action et d’Information des femmes (satellite du Conseil régional) pour la réalisation d’un film bilan de l’application de la loi Veil sur l’IVG dans la région d’Aix-Marseille. Le film est signé nominalement : Laure Friant, Maryvonne Hallez et moi même.
Bientôt l’idée de s’engager professionnellement se précise et s’affronte à la vision d’autres militantes au sein d’Aire-Elles qui nous soupçonnent de trahir la cause et de nous vendre au grand capital. A contrario nous espérons trouver une cohérence entre notre vie quotidienne, nos convictions et l’exercice d’un métier passionnant. Quant aux salaires il faudra encore un peu attendre. Il est plus urgent d’investir dans le matériel qui coûte très cher.
Nous déclarons en décembre 1980 l’Atelier Vidéo Aire-Elles en association régie par la loi de 1901 avec pour but : promouvoir des activités socioculturelles envers les femmes, développer leur information dans la vie quotidienne, susciter la prise en charge par les femmes elles même de leur expression et de leur information et comme moyens : l’animation, la formation, la production audiovisuelle.
L’INA sud /est nous aide, en mettant à disposition des cassettes, du matériel de diffusion, des stages de formation permanente.
Nous faisons alors des films et menons des animations ou des enquêtes participatives avec des femmes dans les coopératives agricoles et dans le cadre de la réhabilitation d’une cité HLM à Aix. Les formations que nous organisons dans les médiathèques débouchent sur des films avec des artistes et nous animons des ateliers de vidéo dans les collèges.
En 1981 un appel d’offres de la DATAR (aménagement du territoire) et le montage d’une opération FIC (fonds interministériel qui finançait la moitié des salaires du développement culturel) intitulée Vidéogazette pour l’amélioration de l’emploi et des conditions de vie des femmes dans les Alpes du sud permet de structurer véritablement l’atelier, d’affiner la démarche et de créer deux emplois qui passeront à trois en 1983.
Nous précisons le concept de la vidéogazette que nous retrouverons décliné sous des formes proches dans d’autres régions. La Fédération des vidéos des Pays et des Quartiers que nous participons à fonder en 1989 développe ce principe d’une information prise en charge par les citoyens ; aujourd’hui elle se bat pour la reconnaissance des télévisions locales d’intérêt public.
La vidéogazette se construit petit à petit :
– en réalisant des reportages sur des expériences novatrices d’emploi, des alternatives éducatives, sociales et culturelles souvent à l’initiative d’associations de citoyens qui pallient les dysfonctionnements institutionnels et les disparités dues à l’éloignement des centres de décision, dans notre cas , la zone de montagne des Alpes du sud.
– puis en diffusant auprès de groupes restreints ces expériences qui leurs donnent envie de témoigner à leur tour, provoquent parfois des regroupement autour de projets concrets qui deviennent sujet de nouveaux films.
L’atelier compte donc trois salariées et des collaborateurs réguliers entourés d’un conseil d’administration composé d’une douzaine de personnes majoritairement de femmes travaillant dans l’éducation ou la petite enfance, la formation d’adultes, l’urbanisme, la justice, la santé, d’artistes qui participent à l’émergence de projets d’actions ou de films.
Le fonctionnement repose sur l’autogestion, la responsabilité de chacune et la solidarité. Cela est facilité par le fait que les salariées ont le même statut, le même âge et une culture proche.
En 1983 l’époque du féminisme non mixte, étape nécessaire, touchant à sa fin, nous décidons ensemble de modifier les statuts comme suit : le but est de contribuer à la reconnaissance de certains groupes sociaux, en particulier des femmes, d’assurer le fonctionnement d’un atelier de réalisation de films faits par des femmes, de promouvoir de nouvelles formes de communication audiovisuelle.
Nous restons attachés à la question des femmes, la nôtre dans la vie quotidienne, dans les revendications, dans l’imaginaire, la nôtre comme vidéastes voulant construire leur vision du monde.
Le catalogue des premiers films d’Airelles est le reflet de nos propres préoccupations au fil des années : crèche parentale, réflexion sur l’école, alternatives économiques et sociales, le mouvement Freinet, une alimentation saine et la solidarité avec des agriculteurs bio, les pratiques artistiques : musique, danse, littérature. L’histoire de la fin du XXème siècle nous accompagne : les migrations, l’exil, la Méditerranée, les mémoires des guerres, les débuts de la conscience écologiste, la citoyenneté que nous avons à cœur de toujours stimuler à l’échelle locale et mondiale.
Nous avons été attentives à maintenir des relations étroites avec des groupes de recherche, d’abord le CEFUP (centre d’études féministes de l’Université de Provence, puis le Cercle Condorcet (sur les droits de l’homme et l’émergence des nouveaux droits), des groupes de réflexion sur l’urbanisme et la citoyenneté, l’ANDL (association du développement local) et bien d’autres, …aujourd’hui ATTAC.
Dans les années qui suivent le clivage des financements d’animation d’un côté, de production de l’autre, le développement de l’industrie de programmes, la multiplication des chaînes de télévision nous poussent vers la professionnalisation.
Nous produisons des films où la demande sociale (groupe ou institution) est à l’origine du projet mais où la notion d’auteur commence à émerger ; l’équipe s’étoffe, les contrats et les collaborations se diversifient.
Cependant au fil du catalogue nous retrouvons les démarches et les thématiques de la vidéogazette : l’idée du développement social des quartiers fait écho à celle du développement local en milieu rural; la réalisation de films, bien qu’ils aient une existence et une large diffusion en dehors de leur cadre d’intervention, est considérée comme catalyseur ou moteur culturel d’un développement plus important dans le domaine économique ou social.
Plus tard dans les années 90 nous apprendrons le métier de producteur pour mettre en œuvre nos propres films et ceux que nous accueillons. L’animation et la formation audiovisuelle croisée aujourd’hui à l’informatique continuent de faire partie de notre activité en s’ouvrant à de nouveaux publics.
Aujourd’hui l’équipe d’Airelles, Airelles vidéo association et Airelles Production SARL fondée en 2010 compte une dizaine d’actifs, dont la moitié ont moins de 40 ans, le Conseil d’administration et les sociétaires continuent de jouer leur rôle d’ouverture sur la diversité sociale et culturelle.
Nous avons 150 films au catalogue dont la plus grande partie a été numérisée par la BNF.